jeudi 16 juin 2005

La Pression

Ils étaient quatorze sur moi. Je savais au nombre de pieds qui me piétinaient, aux mais qui me trituraient. Quatorze membres de ma famille: Père, Mère, Frère 1, Frère 2, quelques oncles et tantes et leur joyeuse marmaille.

Ils avaient beau me torturer sur tous les plans, je restais impassible. Rien ne me dérangeait, rien ne me ferait flancher. Du moins, c'est ce que je croyais.


Mon mutisme obstiné durait depuis déjà 193 jours. 193 jours et nuits en fait: je ne parlais même pas dans l'obscurité. Au début, j'échappais quelques onomatopées ici et là, mais bien vite, je me suis imposée une discipline de fer.

RÈGLE NUMÉRO 1:

Tu ne parleras plus jamais à quiconque

RÈGLE NUMÉRO 2:

Tu n'émettras aucun son audible pour l'être humain

RÈGLE NUMÉRO TROIS:

Tu contrôleras ta respiration pour qu'elle soit la plus silencieuse possible.

Il y avait une règle transversale: Tu couperas toute communication avec les autres êtres humains.

Quand quelqu'un me parlait, je pensais très fort à une couleur, au bruit du camion de la poste ou à un avion qui décolle. Même mes rêves étaient rendus muets.

Ils étaient donc quatorze sur moi, à me pousser à parler, à me poser des questions, à me haranguer, me harceler pour tenter d'éclater les murs que j'avais moi-même érigés. Rien à faire. J'étais une forteresse. I AM A ROCK aurait dit paul Simon. And the rock never cries.


Ils m'ont tarabusté pendant des heures, de longues heures. À quatorze, c'est facile d'être barbare à longueur de journée. J'avais beau me forcer les paupières et fermer les oreilles au maximum, des sons parvenaient à s'infiltrer dans mes retranchements. J'avais épuisé le registre des couleurs et celui des sons assourdissants. Combien de fois "pétale de violette" peut-il t'être utile?

Ma cage thoracique ne tiendrait pas longtemps, je le savais. Malgré des barreaux d'acier trempé, les vomissures entreposées devaient un jour sortir.

Tout d'abord un long cri. Et un silence de mort.

Vingt-sept yeux braqués sur moi, qui me dévisagent, qui me sondent. Grand-mère est borgne.

Et ces mots. Mes mots. Contre ceux qui seraient les siens.

"C'est Joël. C'est à cause de lui."

1 commentaire:

Steeve a dit...

Salut Doc!

Juste une p'tit bonjour de ma part! Et voici mon nouveau Blog:

http://grimkaleidoscope.blogspot.com/