lundi 19 décembre 2005

pis un autre...tant qu'à y etre

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Ça fait quatre jours que je me sèvre de JP. Il n’est plus qu’à moi maintenant. Je sais, c’est très enfantin comme comportement, mais je suis jaloux de Maude. Avant elle, quand il rencontrait une fille, je savais qu’elle ne prendrait pas beaucoup de place dans sa vie, mais là j’ai des doutes sur l’indéfectibilité de notre amitié. Il passe en coup de vent à l’appart’, ne m’appelle plus pour annôner des conneries sur la boîte vocale, déconne de moins en moins quand Maude est là. Monsieur se “responsabilise” qu’il me dit. Si Maude s’intéresse à toi JP, c’est bien parce que t’es un peu fêlé. Oublie pas ça, JP. Oublie pas Frisou surtout.

Au moins, l’appartement est propre. Comme j’ai rien à faire de mes journées ou presque, j’en ai profité pour tout nettoyer de fond en comble. Eloi est en retraite chez les moines (allons savoir pourquoi!), Émilie et Marc sont partis en voyage d’amoureux, mes parents à Trois-Rivières et Sophie à Québec et je suis trop timide pour aller voir Julie et lui demander le numéro de téléphone de sa cousine. Je suis seul au coeur de l’été. J’ai envie de passer du temps avec un ami. J’ai besoin d’un contact humain autre que professionnel. Il m’est impératif de combler tous les besoins de la pyramide de Maslow.

Le processus décisionnel est rapide: j’enfourche mon vélo et je vais me mêler à la foule urbaine qui peuple le parc Lafontaine. Un peu de verdure et la proximité d’autres spécimens de ma race me fera le plus grand bien. Je pédale jusqu’au parc, où je cadenasse mon vélo. Il a beau être vieux, mais j’y suis attaché. Je m’installe sur un banc et sors un bouquin de mon vieux sac de toile qui ne me quitte jamais. Ça fait à peine dix minutes que je lézarde au soleil que j’entends une voix qui m’interpelle derrière moi. J’essaye de la replacer en une fraction de seconde, mais j’en suis incapable. Je me résigne à tourner la tête pour découvrir qui vient troubler ma sainte paix. Mon corps devient du chiffon à la seconde que mon cerveau reconnaît Evelyne. Elle vient s’asseoir à côté de moi, sur le banc.




- Ça va? qu’elle me demande.
- Oui oui, toi? J’ai une occasion en or de l’inviter à partager quelques moments avec moi, peut-être pas aujourd’hui, mais un de ces quatre, le “ je t’appelle, tu m’appelles, on s’appelle” classique et “oui oui, toi?” est tout ce qui sort de ma bouche!. Je vais lui donner mon adresse électronique également, ce serait tellement plus pratique pour développer une belle relation.
- Je vais bien aussi. J’étais pas mal amochée le lendemain de ton party. Disons que y’a des découpages de peinture qui sont pas droits!
- Ouin, ça doit.

Hey, l’affable, parle un peu plus! Ce n’est évidemment pas en restant de marbre devant elle que tu vas réussir à la séduire.

- Je faisais juste passer dans le parc, j’m’en allais rejoindre des amis.
- Ah ok.

Bravo, belle réplique! Tu es la finesse de la conversation incarnée mon homme!

- Ben j’y vais.

Je me lève pour la saluer et quand vient le temps de l’embrasser, je détourne ma bouche vers ses lèvres. Elle prend ce baiser léger, sans renchérir. Je ferme les yeux, pour savourer cet instant.

- Bye Evelyne.
- Bye, à la prochaine.

Je me délecte de chacun de ses pas, les gravant dans ma mémoire. Elle prends deux bonnes minutes pour traverser l’étendue qui la séparait de la rue. Quand elle tourne le coin de la rue, je me rends compte que j’ai complètement oublié de lui demander son numéro de téléphone.


Une voix qui vient d’environ vingt pas derrière moi me fait sursauter. Décidément, c’est mon jour de surprises. “Hey, Frisou, mon p’tit chéri!”. Je n’ai pas besoin de me retourner pour savoir que c’est Manu. Pourquoi elle, maintenant que tout baigne dans l’huile? Par quel hasard quelqu’un avait décidé de prendre une revanche cosmique sur moi aujourd’hui? Prenant soin d’afficher mon sourire le plus artificiel, je me lève et pivote pour me retrouver face à face avec ma démone personnelle. En la voyant, toutes mes intentions d’être froid et distant foutent le camp. Dieu qu’elle est belle, encore plus belle qu’avant! Un visage de lune, des lunettes en écailles, des yeux de mer, la moue facile, comment rester de marbre devant une telle beauté, même immédiatement après avoir été refoudroyé par Evelyne?

Elle m’embrasse sur les joues. Son parfum achève de me faire chavirer. Vas-y Manu, demande-moi n’importe quoi, tu l’auras.

- On va prendre une glace ?

Juste ça Manu? J’étais prêt à me taper Montréal-Vancouver aller-retour sur les mains juste pour passer quelques minutes avec toi.

- Ok, allons-y.

Je la suis, comme j’ai toujours fait. Manu, c’est une leader-née, pas tant par ses capacités de rassembleuse que par son charisme. Les plus forts résistent trois minutes, les autres sont ensorcelés après deux ou trois battements de cils. C’est son activité favorite, la séduction. Je devais être le quatrième ou cinquième qu’elle attrapait l’année où on s’est rencontrés. Un petit quelque chose avait du l’accrocher car elle a décidé de rester un peu plus longtemps avec moi. Manu la croqueuse d’hommes s’était plus ou moins mise à la diète parce qu’elle m’aimait. Elle avait eu des fringales, refoulées la majorité du temps. J’étais au courant de ses activités , euh, culinaires, mais je laissais passer. J’étais amoureux et content du fait qu’elle daigne m’accorder plus d’importance qu’à ses cuistots de passage.

Nous nous arrêtons à une petit échope où les glaces sont faites maison. Manu passe sa commande et me cède la place devant le comptoir. je choisis une glace citron/chocolat. La commis me tend les cornets. Manu est hors de mon champ de vision. Ça va Manu, j’ai compris. Je paie et vais la rejoindre quelque mètres plus loin. Elle prend sa glace et la lèche, sans me dire merci. Pour Manu, tout est dû; une vraie princesse. Nous marchons en dégustant nos glaces. Elle me regarde en souriant et m’écrase mon cornet sur le nez. Elle se trouve drôle et ri.

- Ah, Manu!
- Bon, le p’tit Frisou est fâché!
- C’est pas ça...c’est juste pas drôle.
- Tut tut tut, qu’elle me dit en m’essuyant le visage. Faut pas prendre ça mal, qu’elle continue, c’était juste pour s’amuser.
- Ben moi, ça m’amuse pas.

C’est ce qu’elle m’avait dit aussi, quand elle avait avoué ses infidélités: “C’est juste pour m’amuser.”, énoncé le plus innocemment du monde. Jongler avec mon coeur et mon âme, ça t’amuse? C’est la goutte qui avait fait déborder le vase. J’avais compris à ce moment exact tout ce que mes amis me répétaient depuis des mois: Manu, elle n’est pas pour toi, elle est égoïste.

Nous nous promenons dans le quartier, jasant de nos vies respectives. Malgré la rupture, nous étions restés en bons termes, plus que cordiaux mais moins qu’amicaux.

- C’était qui la fille au parc? Je savais que cela viendrait sur le sujet.
- C’est une amie, la cousine de Julie en haut.
- Une bonne amie on dirait, à te voir l’embrasser.
- Ouin, peut-être. Pourquoi je m’obstine à rester vague sur le sujet, ça me dépasse. Lui montrer clairement que je peux m’intéresser à quelqu’un d’autre nous aiderait à clore définitivement la portion amoureuse de notre relation, ça aiderai qui? Bon, ça m’aiderait moi.
- Tu viens regarder des films? Nous étions rendus à deux coins de rue de chez elle.
- Pourquoi pas? Pourquoi pas, en effet?
- Youppi!

Nous arrêtons au club vidéo de son quartier. “Y’a un film écoeurant que ça fait longemps que je veux voir!”. Tout pour toi Manu, encore une fois.

- Frisou, j’ai pas d’argent sur moi, j’vais t’rembourser...
- C’est correct. Des fois, ma gentillesse frôle dangereusement la naiveté.

En sortant du club, ça me frappe de plein fouet: elle est une coquille vide, Belle certes, mais vide. Je n’avais jamais mesuré l’ampleur de sa vacuité. Essayer de l’emplir, de la métamorphoser en quelqu’un d’agréable à fréquenter, en autre chose qu’une séduisante enveloppe corporelle relève de l’inutilité. J’arrête de la fixer, du coup qu’elle croit que je la reluque. Pourquoi m’en faire, cela lui ferait extrêmement plaisir de le croire, même qu’elle trouverait normal le fait que je soit encore attiré par elle.

Arrivés à son appartement, nous nous installons confortablement sur son divan. Je suis assis raide comme une traverse de chemin de fer, un peu mal à l’aise de revenir dans cet endroit où nous avions vécu plein euh, “d’émotions”.

- Voyons Frisou, relaxe un peu!
- Oui oui, je suis relax.
- J’te mangerai pas!

Elle active le lecteur DVD et y insère le disque . Après avoir programmé tous les paramètres, elle appuie sur la touche lecture. Elle dépose la télécommande sur la table à café et s’accote sur moi, comme si de rien n’était.

- Euh, Manu?
- Quoi? J’te sauterai pas d’ssus Frisou! C’est plus confortable, c’est tout.
- Ok.


Nous regardons le film, sans histoire. J’essaie de me concentrer sur l’action à l’écran, mais la chevelure de Manu dégage une odeur de pommes qu’il m’est impossible d’ignorer. De temps en temps, j’inspire plus profondément que nécessaire, pour m’enivrer un brin.

Le générique apparaît à l’écran. Manu se dégage de mon étreinte molle et s’empare de la télécommande.

- C’était poche, j’suis pas mal déçue.
- C’était pas si pire que ça.
- J’ai pas aimé du tout. Ennuyant à mourir.
- Si tu le dis.

J’avais presqu’oubié: Manu ne s’émerveille pas devant les petites choses simples de la vie. J’ai jamais réussi à lui faire apprécier les levers et les couchers de soleil. Déjà que le camping était limite pour elle.

Je me lève, fier d’avoir contenu une érection naissante pendant près de deux heures, de ne pas avoir flanché devant Manu. Bravo Frisou! Elle me reconduit jusqu’à la sortie.

- Bye Manu, à la prochaine.
- Bye Frisou qu’elle me dit avant de me fourrer la langue dans l’oreille.

Toute résistance est inutile. Elle connaît mon corps comme pas une et elle sait pertinemment que je flanche automatiquement lorsqu’on me titille les oreilles. Elle retire sa lange de mon oreille pour me l’enfoncer dans la bouche. Dis moi Manu, pourquoi j’ai la nette et claire impression que tu me prépares un guet-apens? Je la suis jusqu’au divan, où nous baisons comme des bêtes. C’est bon, très bon même, à des années-lumières de mon expérience avec Brigitte, mais ce n’est plus comme avant. Notre complicité physique a perdu l’urgence animale et la tendresse féroce des premiers ébats. À la limite, nos actions sont machinales et chirurgicales. Je touche là, elle jouit; elle me touche comme ça, je gémis. Hey, Manu, ton corps me chuchote plein de secrets mais je n’écoute pas.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Re-Wow! Encore encore encore! :D Mêmes commentaires que pour le post précédent: j'adore ton style d'écriture!