Je t’ai repéré, à une dizaine de pas devant moi. Toi, ça faisait déjà longtemps que tu attendais. Les yeux grands ouverts, à l’affût d’un regard bienveillant ou encore mieux, d’une pièce déposée dans ta main tendue.
Moi, j’enfonce un peu plus les boutons des écouteurs dans mes oreilles, pour ne pas me faire déranger : j’ai une destination à atteindre dans un laps de temps précis et rien ne me fera détourner de mon chemin ou, encore pire, ralentir mon rythme.
Pourtant, à huit pas de toi, ton sourire édenté m’accroche. Malgré la tristesse de ton état, tes vêtements défraîchis et à la mode il y a quelques décennies, malgré le froid que tu endure la nuit et la dureté du sol sur lequel tu dors, malgré toutes les embûches que tu as vécues et les raisons qui ont fait de la rue ta maison, je décèle du bonheur chez toi. Oh, pas beaucoup, certes! Mais du bonheur…Quand certains passent des années à le chercher en vain dans leurs paradis artificiels.
Toi, parmi tous les hommes, tu en as? Bravo!
Sept pas, je m’imagine la vie que tu as menée. Ta famille dysfonctionnelle, toi le rebelle qui se rebiffe, les cheveux ébouriffés ou trop gominés aux yeux de ton père. Tu pars de la maison. Quatorze ans à peine, presqu’un homme pour les autres mais grand comme dix gratte-ciels pour toi!
Quatre pas. Je romance ta vie, toi le romanichel du nouveau monde. Tout comme dans le Tigre Bleu, vous avez une société secrète, avec un Roi et une hiérarchie. T’es le Robin Williams de mon Jeff Bridges dans The Fisher King. T’es là pour m’ouvrir les yeux. Tu m’enquiquines tu sais? Tu me déranges. Pas au sens négatif du terme, non…Tu chamboules tout en moi, tu remanies la géométrie de ma pensée. Trois dents, c’est tout ce qu’il t’as fallu.
Deux pas. Je te connais. Pas vraiment, mais j’t’ai écrit une histoire. L’histoire que j’aurais aimé que tu vives. Tu l’aurais sûrement aimée toi aussi. Paul. Tu t’appelles Paul dans mon histoire.
Un pas. Ta main se tend un peu plus vers moi. J’ai fait un rapide recensement mental : je n’ai que des billets, et les fins de mois ne sont pas toujours facile pour moi non plus.
Vis-à-vis. Je suis à ta hauteur. Déjà, je te souris Paul. Je te regarde, dans les yeux. Probablement un des seuls qui ose. Tes yeux me renvoient la balle. Pleins d’espoir. T’as juste faim. Je te dis bonjour, ton sourire s’élargit, tes yeux sont grands comme deux soleils.
Deux pas plus loin. Toutes les options défilent dans ma tête : j’aurais du ci, j’aurais du ça…Mes fins de mois son difficiles! Foutaises! Chaque minute est une fin de mois pour toi.
Sept pas plus loin. J’arrête, je me retourne. Je n’existe plus pour toi Paul. Tu es à quêter une pièce à quelqu’un d’autre. Je reprends mon chemin, un peu moins pressé.
Demain.
Demain j’m’arrêterai pour vrai.
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1 commentaire:
Salut !
J'ai découvert ton blogue en allant sur "mal de blogue". J'ai adoré ce texte et je vais m'empresser de lire les autres. WOW ! Continu, j'adore !!!
( Une phrase m'a marqué et je voulais la partager avec toi: "Mes fins de mois sont difficiles! Foutaises! Chaque minute est une fin de mois pour toi" J'ai vraiment aimé :))
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